Maxime Le Forestier : Un événement a bouleversé la donne : l'arrivée du compact disc. Pendant plusieurs années, les maisons de disques ont fait leur chiffre en recopiant en CD ce qu'elles avaient déjà en vinyle, plutôt qu'en produisant des choses nouvelles. L'essor des jeunes artistes a pris un sacré retard.
Daniel Darc : Le rock français est un oxymore, les deux mots ne vont pas du tout ensemble. Après, l'histoire de la chanson n'est qu'une affaire de révisionnisme. Christophe, qui a la culture et les références, n'était que de la variété un peu fade jusqu'à ce qu'on le réhabilite. Taxi Girl, pareil – Cherchez le garçon était un tube à la con. On n'avait rien à voir avec le mouvement des jeunes gens modernes, à part Marie et les garçons (Re Bop). Et le reste, de Téléphone aux punks en passant par Indochine et Marquis de Sade, encore moins. En fait, chacun se démerdait comme il le pouvait en confrontant sa culture spécifique, rock ou autre, à celle, dominante, de la chanson. De quoi se sentir roi au pays des aveugles. Bien sûr, Alain Bashung a réussi – Gaby, oh Gaby, c'était horrible, mais La nuit je mens, c'est remarquable. Comme Etienne Daho, quand il se lâche enfin pour chanter Le Condamné à mort, de Genet !
Dominique A : A l'adolescence, ma cousine m'a fait écouter Police et j'ai senti que j'avais envie de cette énergie. J'habitais Provins, il n'y avait pas de superdisquaire là-bas. J'achetais les revues Best et Rock'n'Folk, un autre monde, anglo-saxon, s'ouvrait à moi. Comme j'avais ce sens du texte hérité de mes parents, je me suis tourné vers les imitations francophones des Anglo-Saxons, vers des gens qui s'appropriaient cette culture. Marquis de Sade, Marc Seberg, Etienne Daho. Et puis Taxi Girl, qui a beaucoup compté pour moi. Comme sur Amour absence, de Sapho, je retrouvais les sons de synthé ou de guitare que j'adorais, en comprenant le sens des mots. En revanche, je fuyais la chanson rock française, de Goldman et des autres. Trust ou Téléphone manquaient terriblement d'élégance. J'accrochais juste à quelques titres épars, de Jean-Michel Gascuel, d'Hervé Cristiani. Et d'Yves Simon.
Benjamin Biolay : Dans les années 1980, la scène française s'est libérée. Avant, on nous regardait comme un pays bidon qui faisait n'importe quoi. Jusqu'à ce qu'apparaissent des gens comme les Rita Mitsouko, Oui Oui, Les Innocents... Ce fut la vraie révolution, le moment fondateur, la fin des complexes. Un homme a été essentiel, le directeur artistique Philippe Constantin, qui a lancé les Rita, a travaillé avec l'Affaire Louis Trio ou Stephan Eicher. La politique de Jack Lang a aussi soutenu la jeune scène rock.