Juliette Gréco : J'ai eu un choc quand j'ai vu Julien Clerc pour la première fois. Il avait pour lui l'extrême jeunesse, une nouvelle façon de se mouvoir, librement. J'ai aussi adoré Maxime Le Forestier. C'était des fleurs, ces gens-là... Ils voulaient le bonheur, ils parlaient du bonheur. Je n'y croyais pas, mais, n'empêche, ça faisait du bien.
Françoise Hardy : La chanson engagée ne m'intéresse pas. A mes yeux, la chanson est faite pour exprimer des émotions d'ordre sentimental. Dans ces années-là, il y a eu deux albums majeurs : Melody Nelson, de Gainsbourg, en 1971, pour sa couleur musicale et l'utilisation des cordes. Et Amoureuse, de Véronique Sanson, en 1972, pour son écriture mélodique et textuelle. J'ai eu l'impression que toutes les chanteuses (moi la première) étaient larguées.
Maxime Le Forestier : A l'époque, on écoutait tous Keith Jarrett comme des malades. C'est Véronique Sanson qui a fait la jonction entre ce type d'accompagnement et la langue française. On entendait aussi des chansons politiques – dans l'après-68, tout était politique – mais pas seulement : les émissions des Carpentier étaient plutôt rassurantes... Puis la famille québécoise est arrivée, Charlebois, Diane Dufresne, Beau Dommage : ils étaient les premiers à chanter en joual, le parler québécois ; ils avaient une utilisation plus intelligente que nous des ensembles basse-batterie-guitare électrique ; une conception du show très différente, à l'américaine, d'énormes machineries avec effets spéciaux.
Daniel Darc : Adolescent, j'allais en Angleterre dans une famille, et les parents me demandaient : « Alors Daniel, vous préférez Slade ou Sweet ? » J'hallucinais. En France, on avait juste Guy Lux et Ringo Willy Cat. Il a fallu attendre Higelin et BBH 75, pour que je puisse apprécier un truc en français. Pourtant, Véronique Sanson avait fait des choses excellentes sur ses premiers albums. « Pauvre maudit, ta douleur efface ta faute. » J'adore, je me sens maudit, moi aussi. Toute ma culture m'est venue par le rock. Patti Smith, notamment, qui citait les poètes et les musiciens à tout bout de champ, m'a ouvert la voie. Genet, Verlaine, tout ça...
Dominique A : On baignait dans la variété. Qu'on l'aime ou pas, on n'entendait que ça. Pourtant, elle ne m'a pas trop marqué. Je revois mes parents râler devant Danièle Gilbert. Et moi d'aller dans leur sens : « Oui, c'est catastrophique. » J'ai été élevé dans la chanson française de qualité. Seule exception, mon père adorait un 45-tours de Demis Roussos, Mourir auprès de mon amour. Je sentais bien que ça ne cadrait pas avec le reste, le triumvirat sacré — Brel, Brassens, Ferré avec Ferrat en quatrième mousquetaire. J'écoutais les hits sur Europe 1, en étant hyper sélectif.
Benjamin Biolay : A la fin des années 1970 est arrivé Charlélie Couture. Naturellement à part. Il essayait des choses, il voyageait. Ses chansons avaient un début et une fin : on y voyait toute l'histoire des personnages, même la lumière. Vocalement, il était extrêmement à l'aise, avec un parti pris arty permanent. Un grand artiste. Je me disais qu'un jour je ferais son job.