Le discours musical - Phrases métriques et phrases musicales - Cadences, ponctuation, respirations Phrases métriques et phrases musicales Comme on sait, le genre musical Tango admet une structure codifiée assez simple : en général des sections de 4 phrases de 4 mesures chacune (= 8 temps forts), avec une pulsation régulière. C'est dans le cadre de cette structure que va s'inscrire le discours musical. Le découpage d’une section en phrases rend compte d’une métrique, c'est-à-dire d’une mesure et d’une division de la durée, ce, de manière plutôt abstraite, froide, diront certains. Nous désignerons ces phrases par phrases métriques. A cette approche arithmétique, il semble intéressant d’ajouter celle qui consiste à considérer que les phrases musicales telles qu’écrites et jouées ont une signification. Alors, par exemple en développant une idée ou en décrivant une image, chaque phrase forme un tout signifiant, dans une unité de sens, une unité expressive, difficile à scinder. Comme en poésie un groupe formant une unité syntaxique. Ces phrases signifiantes, seront désignées dans la suite tout simplement par phrases musicales (*). Elles sont donc à distinguer des phrases métriques. (*) ou quelquefois par phrases mélodiques, car ce sont celles que l'on peut chanter ou fredonner. Les phrases musicales sont délimitées par le ressenti du déroulement de la musique, du discours musical. Sur les passages chantés, c’est bien sûr le sens du texte et le phrasé du chanteur qui permettent de délimiter ces phrases musicales. Les cadences Nous avons déjà abordé la notion de cadence sur la page : Structure plus fine - La phrase musicale, un cadre pour la danse. Nous rappelons ici de manière plus détaillée la définition des cadences. Selon une définition classique de la théorie musicale, les cadences sont des formules mélodiques et harmoniques qui ponctuent un morceau ou, tout au moins, une phrase musicale. Elles consistent en une succession d'accords d'intonations différentes (les deux ou trois derniers accords de la phrase musicale), succession qui marque ou annonce la fin de la phrase musicale (la chute) et donne une indication sur son caractère. Les cadences peuvent par exemple suspendre le discours musical en laissant attendre un enchaînement, ou bien le conclure. En Tango, ces accords sont essentiellement joués staccato (de manière détachée) par la base rythmique. On peut mentionner principalement, de manière un peu schématique : les cadences à caractère conclusif ; les cadences à caractère suspensif ; et, entre les deux, les cadences à caractère conclusif moins marqué, parfois même quasi-suspensif, que nous qualifierons de "semi-conclusives". Pour plus de précisions sur les cadences, on pourra se reporter aux définitions classiques, données par exemple sur les sites :
http://www.apprendrelesolfege.com/les-cadences,
http://e-harmonie.e-monsite.com/pages/niveau-1/les-cadences.html ou encore
https://cyberconcept.wordpress.com/tag/cadence-parfaite/. Les cadences "semi-conclusives" et les cadences conclusives Elles correspondent aux fins de phrases musicales marquées par une succession d’accords se terminant par une intonation que l'on ressent comme descendante. Le caractère conclusif est moins marqué pour les premières que pour les secondes. Les cadences suspensives Lors des cadences suspensives, on ressent plutôt une intonation ascendante, parfois interrogative de la musique. Ainsi, quelle que soit la durée de la phrase musicale (qu'elle occupe substantiellement toute une phrase métrique ou seulement un segment de celle-ci, par exemple la moitié. Nota : Si les cadences suspensives se rencontrent en général en fin de phrase métrique, on en trouve aussi dans le cours-même d’une phrase métrique (ce seront des cadences secondaires ou internes à ces phrases métriques). Elles découpent alors la phrase métrique en deux ou plusieurs phrases musicales plus courtes. Par exemple une cadence au milieu d’une phrase métrique de 4 mesures (8 temps forts), la découpera en deux phrases musicales de 2 mesures (4 temps), telle une césure entre les deux hémistiches d'un vers. Haut de page Les respirations Les suspensions (ou pauses) On s'intéresse tout d'abord aux tangos dans lesquels chaque phrase musicale est incluse dans une phrase métrique, sans déborder sur la phase métrique précédente ou sur la phase métrique suivante. Des configurations de ce type, plus rares, sont explorées sur la page Configurations particulières. Dans les configurations plus communes qui nous occupent pour le moment, la phrase métrique contient donc en son entier une phrase musicale, quelquefois deux phrases musicales (des sous-phrases), qui alors s'articulent en question-réponse. Dans une section de tango, par exemple de 4 phrases métriques, chacune de 4 mesures (= 8 temps forts), une phrase musicale peut couvrir toute la durée de la phrase métrique y compris le dernier temps fort (en position 3) et s'enchaîner sans respiration en fin de phrase, ce dernier temps fort étant marqué aussi bien par un instrument mélodique que dans l'accompagnement. Par contre, le temps fort 3 en fin de phrase métrique peut ne pas être accentué, ni dans l'accompagnement (silence) ni dans la ligne mélodique, la note jouée sur le temps fort 1 pouvant alors éventuellement se prolonger jusqu'au temps fort 3. De tels temps fort 3 non accentués ou silencieux dans la dernière mesure de la phrase métrique peuvent être annoncés par une cadence suspensive ou par une cadence semi-conclusive, qui, elle, s'achève sur le temps fort 1 de cette même mesure. Ces "absences d'accent" se traduisent dans la danse par des suspensions (ou pauses). Dans une tentative de proposer une terminologie adéquate, certains maestros ont parfois désigné ces suspensions par le terme de cadencias. Si un instrument mélodique continue à jouer (dans ce cas, il assure en général une transition, en levée, vers la phrase musicale qui suit), l'exécution de la suspension (ou pause) consiste pour le danseur à ralentir son déplacement, ce de la même manière qu'il le ralentit lorsqu'il se déplace a mediotiempo, c'est-à-dire sur la durée de 2 temps. Un terme parfois proposé dans ce cas par les mêmes maestros est celui de cadencias relatives ou de suspensions relatives. Si aucun instrument mélodique ne joue sur ce temps 3, on aura plutôt un arrêt du mouvement, en attente de l'attaque de la phrase musicale qui suit. Les mêmes maestros ont parfois parlé ici de cadencias absolues ou de suspensions absolues. Dans tous les cas, silence de la mélodie ou non, on aura conscience, pendant la suspension (ou pause), que la pulsation de la musique continue de battre, dans notre "horloge intérieure", ce battement ayant été installé par l’écoute des passages précédents. Finalement, disons qu'une suspension (ou pause), que ce soit à la fin ou dans le cours d'une phrase métrique, s'intercale, par un temps fort non joué, entre deux phrases ou deux sous-phrases musicales, qui alors s'articulent en "question-réponse". ". Par exemple, sur le 4ème temps fort d'une phrase métrique de 8 temps forts, la suspension (ou pause) délimite, par rapport à la suite, une première sous-phrase musicale de 3 temps forts qui a son unité expressive propre. Cette observation permet de réaffirmer la non-coïncidence entre phrases métriques et phrases musicales et de montrer qu'elles recouvrent deux réalités différentes. Dans le même ordre d'idée, on peut encore souligner que le temps fort non accentué qui peut suivre la fin d'une phrase musicale appartient à la phrase métrique (en général le temps fort 8, ou le temps 4, dans le cas de deux sous-phrases musicales), mais qu'il est en dehors desdites phrases musicales, qu'il sert précisément à séparer. On peut aussi rencontrer des respirations qui s'étendent sur des durées plus longues, correspondant par exemple à plus de deux temps ; c'est le cas où la mélodie joue des notes tenues ou de notes suivies d'un silence, qui comptent en tout plus de deux temps, avec (ou sans) accents de l'accompagnement. Ces éléments font partie du dessin mélodique de la musique. Ce ne sont en aucune manière des interruptions de la musique ou de la danse, qui, là encore continuent à vivre... Les danseurs sont comme en attente, avant que la succession d'accents reprenne. Ce peut être l'occasion pour le danseur d'exécuter des déplacements ralentis (tels que des lápices) ou, utilisant ces temps pour des transferts sur place, de laisser sa partenaire exécuter des fioritures. Haut de page Quasi-suspensions (repos) En fin de phrase musicale, nous avons montré ci-dessus qu'après le premier temps fort de la dernière mesure (le 1), accentué, le second temps fort (le 3) pouvait ne pas être joué par l'accompagnement (la mélodie pouvant alors prolonger la note précédente ou jouer quelques notes en levée du temps fort 1 de la mesure suivante). Dans la danse, nous avons vu que cette formule mélodico-rythmique pouvait donner lieu à une suspension (ou pause). Il se peut aussi que, dans la mélodie, après le premier temps fort (le 1), accentué, on entende, sur le second temps fort (le 3) ou sur le temps faible intermédiaire (le 2), une note (*) différente de celle jouée sur le 1 et jouée plus légèrement que cette dernière, comme un repos. (*) Éventuellement accompagnée d'un accord de la base rythmique. Repos sur un 3. 1 (2) 3 (4) La plupart du temps, cette note est en mouvement descendant par rapport à la précédente, souvent d'un degré de la gamme (selon le cas, d'un ton ou d'un demi-ton ; les musiciens parlent alors d'un mouvement conjoint descendant). Dans la danse, cette formule incitera le danseur, non plus à une suspension (ou pause) de son mouvement, comme pour les silences de fin de phrases, mais à un repos, où il pourra par exemple faire un pas court et amorti ou rassembler délicatement (le son étant plus faible que le précédent) ; après un déplacement latéral, le déplacement du danseur peut consister en particulier une fermeture. Repos sur un 2, avec suspension sur le 3 qui le suit. 1 2 (3) (4) A moins qu'il ne soit nettement accentué, on ne marque pas ce repos de la musique qui apparaît sur le temps faible 2 (suivi en général d'une pause sur le 3) car il est trop proche du temps 1 ; en revanche mais on marquera une suspension sur la pause du 3. Comme on le voit, l’exécution d'un repos relève en grande partie du domaine de l'interprétation des nuances de la musique. Haut de page Les silences de début de phrase métrique La phrase musicale peut commencer "bille en tête" par un accent sur le premier temps fort (le 1) de la phrase métrique, par exemple dans Qué te importa que te llore, parmi bien d'autres. Ce premier temps fort peut être précédé par quelques notes de levée, non accentuées (levée que les musiciens désignent par le terme d'anacrouse). La phrase musicale peut aussi ne commencer que par un accent sur le second temps fort (le 3) de la première mesure de la phrase métrique, là aussi précédé ou non des quelques notes non accentuées de la levée de ce temps fort. En début de phrase, ces silences de la mélodie ne se traduisent pas par des suspensions comme c'est le cas en fin de phrase, mais constituent une attente en préparation du départ sur le premier accent de la phrase musicale. Ces silences de la mélodie peuvent correspondre aussi à des silences de l'accompagnement. Ou bien alors, il se peut que l'on entende un accent de la base rythmique sur le premier temps fort 1. C'est le cas notamment de nombreux tangos parmi ceux interprétés par Di Sarli, par exemple El Ciruja, Bahia Blanca, Indio Manso, etc. Dans ce dernier cas, au début du morceau ou au début d'une section, l'accent initial peut être l'occasion d'un transfert (changement d'appui), avant de démarrer ou de redémarrer. A un silence de la base rythmique (et éventuellement de la mélodie) sur le dernier temps fort d'une phrase (un 3), traduit par une suspension (ou pause), peut succéder, sur le premier temps fort (un 1) de la phrase qui la suit, un silence de la mélodie (et éventuellement de la base rythmique). Parmi de nombreux exemples, citons, dans le couplet du tango Nostalgias, le passage entre la fin de la première phrase métrique et le début de la deuxième. Haut de page Les Chan-chán Après une phrase musicale s'achevant sur le temps 1 de la dernière mesure de la phrase métrique par un retour à la tonique (note fondamentale), notamment dans une cadence conclusive, un Chan-chán a pour fonction et pour effet de confirmer, par une cadence conclusive supplémentaire sur les temps 2 et 3 de cette mesure, ce retour à la tonique. On peut aussi trouver des Chan-chán, sur les temps 2 et 3, après des cadences suspensives, dont ils confirment là aussi le caractère. C'est le plus souvent en fin de section ou de morceau que l'on entend un Chan-chán, qui est alors nettement conclusif. Dans certain tangos, en fin de section, on peut parfois entendre deux Chan-chán successifs, ce qui renforce encore le caractère conclusif de la fin d'une section ou du morceau, comme par exemple à fin de la première section du tango Indiferencia (écouter ci-dessous). A noter les Chan-chán particuliers de Ricardo Tanturi ou d'Osvaldo Pugliese, dont la seconde note est retardée et jouée avec légèreté dans l'aigu. Les Chan-chán conclusifs inciteront le danseur à rassembler ou à fermer, ou encore à terminer sur une belle posture qu'il aura préparée pendant la durée de la dernière phrase. Remarque sur les cadences Si l'on prend la comparaison des respirations de la musique et de la danse avec les signes écrits du langage (la ponctuation), on peut dire que les cadences suspensives, qui assurent la séparation de phrases musicales, sont comme des virgules entre deux éléments expressifs du discours (parfois des points d'interrogation) et comparer aux points-virgules les cadences semi-conclusives et au point les cadences conclusives, en fin de section ou en fin de morceau), où le Chan-chán, sur les temps 2 et 3 de la dernière mesure, vient confirmer le retour à l'accord fondamental. Pour illustrer ce qui précède, on peut encore prendre l'exemple du tango Indiferencia, enregistré par Juan D'Arienzo en 1938.